Exils
Elsa pourrait être le nom d'une de ces péniches amarrées sur la Seine, prêtes au départ, à l'exil, et portées par le Zéphyr, autre nom de bateau, très en vogue celui-là.
Des exils, des départs, des séparations, la famille d'Elsa Moatti en a connu. Histoires de vies toutes frappées du sceau de l'exil, et qui forment la toile de fond de cet album lumineux et mélancolique à la fois. On le sait, il y a exil et exil. On pense d'abord à l'exil forcé, celui vécu par la famille paternelle ; Juifs d'Algérie assimilés français, qui ont dû traverser la mer pour s'installer en France après l'indépendance de l'Algérie. En miroir, une autre forme d'exil, « choisi » celui-là semble-t-il du côté maternel, avec la figure romantique de cette grand-mère américaine, d'origine irlandaise et juive (avec une goutte de sang amérindien), qui émigre toute jeune en France pour se marier.
Tout en découvrant l'arbre généalogique d'Elsa Moatti, je relis ces mots bouleversants du philosophe et essayiste Günther Anders, évoquant le Mur des Lamentations de Jérusalem : « Moi aussi j'ai été ému par cet endroit. Mais affirmer que le cercle s'est refermé pour moi, que je me suis senti comme quelqu'un qui rentre chez lui, ce ne serait pas vrai. Et je ne veux pas m'en persuader. Car pour moi, l'émigrant qui a fini par être domicilié en un lieu seulement contingent, être sur la route, c'est être chez lui. C'est ce destin d'apatride et non ce mur qui fait de moi un Juif ».
(« Ma judéité », Günther Anders).
Sur la Seine, nous embarquons avec Elsa pour un voyage musical en compagnie de quelques ami.e.s fidèles. Les flots nous portent d'une rive à l'autre, d'un exil à l'autre. La voix d'Elsa Moatti se joint par moments à son violon, comme pour donner vie à quelques voix enfouies dans sa mémoire, car les absents nous accompagnent. La mélancolie surgit. Elle danse avec la joie, la joie d'être bien vivante. A n'en pas douter, les « Exils » d'Elsa Moatti riment avec souvenir et mémoire. Souvenir de Michaël, « exilé » à sa façon ; ce frère aimé, dont la vie a été fauchée trop tôt. Souvenir d'un coin de Finlande, entre mer et forêts, et de moments partagés avec des musiciens klezmer. Instants forts et précieux, dans lesquels Elsa a puisé la lumière et l'énergie indispensables à sa renaissance, après le cataclysme. Le temps passe, et nous transporte de pays imaginaire en pays imaginaire.
Qui dit exil, dit départ, et parfois aussi retour. La promeneuse que je suis, qui flâne sur les berges de la Seine, ne peut que se sentir happée et bouleversée par la péniche qui vient d'accoster.
Des lampions illuminent le pont du bateau. L'émotion est là, vibrante, chez les passagers.
On perçoit la musique d'un petit orchestre. Parfois, elle n'est que lyrisme et envolées, d'autre fois, elle se fait chanson douce ou berceuse.
Elsa vient nous murmurer ses histoires à l'oreille, avant de repartir pour d'autres exils...
Anne Montaron
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France Musique/L'invité du jour - France Musique/Les grands entretiens
1. E. Moatti Matkustaa
2-4. E. Bloch Baal Shem
5. V. Lê Quang Bois d’épines
6. E. Moatti Haaveilu
7. E.P. Salonen Lachen Verlernt
8. E. Moatti Lágrima
9. E. Moatti Aamunkoitto
10. E. Moatti Klezmer for Michaël
11. J. Farjot L’Attimo che ami
12. L. Boulanger Nocturne
13. M. Bailly Néon
14. V. Lê Quang Nacelle
15. F. Monbet Vie-Re-Volte
Suzanne Ben Zakoun - piano (2,3,4,11,12)
Vincent Lê Quang - Saxophone (5,14)
Julia Macarez - alto (13)
Fiona Monbet - violon (15)
Elsa Moatti - violon, voix, violon baroque
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