Crossing the Line - Graciane Finzi
Trio pour violon, saxophones et piano
Entretien avec Anne de Fornel
A. de F. : Quels types d’interactions sonores avez-vous recherchés en composant un trio pour violon, saxophone et piano ?
G. F. : Cette formation très singulière m’a immédiatement attirée. J’avais beaucoup écrit pour piano et violon ou trio avec piano, mais jamais pour cet effectif. Par ailleurs, j’aime beaucoup le saxophone. En témoignent la pièce pédagogique De l’un à l’autre pour saxophone alto ou clarinette et piano (1976) et Cinq séquences pour quatuor de saxophones (1982). Dans Crossing the Line, j’ai choisi de mettre à profit deux saxophones différents – soprano et alto – afin d’élargir la tessiture. À certains moments, le saxophone est autonome et à d’autres, il se marie avec le piano et/ou le violon en produisant des sonorités homogènes ou en créant des interactions auditives. Je propose aussi des jeux de timbres particuliers, comme lorsque le saxophone soprano réalise des staccatos ou des slaps associés avec du spiccato, ou encore des pizzicati Bartók au violon. Cette recherche de sons « inouïs » m’a donné une grande liberté d’écriture. J’ai souhaité contribuer à élargir le répertoire pour un effectif original. Le trio a été conçu dans l’optique d’une collaboration intense entre les trois instruments.
G. F. : Je n’ai pas de « système » préétabli (tonal, dodécaphonique, sériel, etc.). Je fonctionne souvent par chromatisme ascendant ou descendant, systématique ou non systématique ; un accord ou un agrégat va vers un autre comme s’ils étaient « aimantés ». De 1979 à 1995, mon langage musical a employé de manière très systématique des juxtapositions de tempi. Mais un tournant a eu lieu avec le Concerto pour piano et orchestre (1997) où, même si l’on trouve des harmonies répertoriées, celles-ci deviennent des harmonies « géantes » (des agrégats) en étant juxtaposées. Il y avait aussi l’idée d’exploiter un piano très romantique par le biais d’un langage contemporain. Les œuvres suivantes se situent dans le prolongement de cette pièce et il en est de même pour Crossing the Line. Au niveau de la forme, ce trio est proche de la fantaisie avec des atmosphères distinctes : parfois, presque en apesanteur ; parfois très « jazzy » surtout vers la fin.
A. de F. : Crossing the Line est écrite pour le Trio Empreinte, mais aussi dédiée aux trois musiciennes. Pouvez-vous nous parler de la collaboration qui en a résulté ?
G. F. : Tout d’abord, nous nous sommes très bien entendues. Les échanges en amont sur la pièce ont été importants et ont concerné les respirations, le mélange des sons et l’équilibre. J’ai assuré la direction artistique de l’enregistrement de mon trio, ce qui a permis d’affiner ou de changer des nuances, des articulations et des pédales. J’ai été très attentive à la restitution du son ; je voulais que celui-ci soit le plus fidèle possible à la réalité sonore du Trio Empreinte. Il y a une véritable cohérence de jeu entre ces trois formidables musiciennes. Une magnifique collaboration !
A. de F. : Crossing the Line constitue aussi la première œuvre écrite après le décès de votre mari, Gilbert Lévy. Cette création a-t-elle eu une signification particulière pour vous ?
G. F. : Cette œuvre a en effet été composée à une période très douloureuse de ma vie, où il m’était difficile d’écrire. J’ai d’ailleurs remarqué que j’avais inclus dans cette pièce un grand nombre de chromatismes descendants qui figurent cette douleur. Quelque part, c’était au fond un geste désespéré, mais qui m’a conduit à me surpasser. J’ai eu l’impression que je repoussais un peu mes propres limites.
Durée : 10'
Trio pour violon, saxophones alto et soprano et piano